Oser la reconversion, c'est mieux comprendre le regard de l’autre
par Florence Dubernet
Souvenez-vous ! Vous êtes confortablement assis sur une chaise bois/alu, au premier rang ou au fond de la classe, et votre professeur de philosophie vous déclame cette citation de Sartre, on ne peut plus mémorisable : L'ENFER c'est les AUTRES ! Il est question d'un effet miroir, plus ou moins déformant, plus ou moins bienveillant, de ce que l'on pense être dans ce bas monde.
Etre au monde, c'est bien accepter l'idée de faire partie d'une communauté. Et si les routes du développement personnel promettent de mieux se connaître, se comprendre, et parfois même s'accepter, il est un sujet qui reste souvent complexe, c'est celui du regard de l'autre.
Dans le cadre d'une reconversion professionnelle, il est question de s'engager dans un changement. Cette période de transition entre le confort d'une situation connue et l'inconfort du lâcher prise indispensable réveille fréquemment un compagnon de route qui a cette capacité à altérer notre jugement et nos ressources : le stress.
Ainsi, si je vous partage simplement ma propre expérience, à l'annonce du projet dans lequel je m'apprêtais à m'engager, j'ai naturellement dû faire face à des remarques diverses, qui si elles ne sont pas prises pour ce qu'elles sont, peuvent très rapidement vous couper les ailes.
Mais qu'est-ce qu'elle sont, me direz-vous ? Simplement le fruit de la représentation immatérielle, intangible, insaisissable et profondément subjective que l'autre a construit sur vous. Cette représentation prend sa source dans l'histoire de vie de chacun, sa sensibilité, sa structure interne.
Ainsi, certaines personnes réagiront en exprimant le sentiment d'insécurité que vous venez imprudemment de réveiller : Mais enfin, (pourquoi changer) tu as une voiture de fonction !
D'autres habités par l'ordre et l'organisation, et la croyance profonde que chacun doit avoir un plan de vie ou de carrière à respecter en avançant step by step, vous questionneront de manière circonspecte sur vos motivations et termineront par : A quoi cela va-t-il bien te servir ?
D'autres encore cohabiteront très mal avec la période de flottement et d'incertitudes indispensables à la construction de votre projet. Pour eux, l'hésitation est contre nature, le doute, une aberration. L'essentiel étant de SAVOIR : Oui enfin, il va bien falloir que tu choisisses un chemin après. Après quoi, la question reste encore aujourd'hui posée !
De tels exemples, il en existe des centaines pour ne pas dire des milliers. L'exercice consiste alors à comprendre, d'abord que ces remarques parlent bien moins de ce que vous vivez que de ce que la personne est profondément. Ensuite, il est important de ne pas tomber dans le piège du doute, en prenant le temps quelques instants de comprendre ce qui est vraiment dit (sur l'autre) derrière chacun de ces mots. Le département des neurosciences de l'Université de Parme a récemment mis en lumière des mécanismes mimétiques d'empathie et de contagion émotionnelle. Comprenez que le risque évident est de prendre pour soi des doutes qui au fond ne vous appartiennent pas.
Nous sommes touchés ou influencés par ce que l'autre pense de nous. C'est un fait. Comment alors tenter de cohabiter au mieux avec ce constat et en faire quelque chose de constructif pour soi ? Il existe un outil intéressant qui permet de photographier à un instant t là oùchacun se situe dans ses rapports avec soi et le monde qui l'entoure. Cet outil est la fenêtre de Johari.
Imaginez deux droites qui se croisent en un point 0. Chacune de ses droites est numérotée de 0 à 100.
Posez-vous cette première question : de manière générale, à quel point vous dites ce que vous pensez aux gens autour de vous ? Reportez votre score sur l'abscisse (orientée vers le bas).
Posez-vous ensuite cette deuxième question : de manière générale, quelle importance accordez-vous à ce que les autres pensent de vous ? Reportez votre score sur l'ordonnée.
En traçant deux droites qui prennent leur origine sur vos deux scores, vous obtiendrez la représentation de votre fenêtre de Johari.
La zone publique est une zone connue de vous et des autres, elle pourrait s'apparenter à votre masque social.
La zone aveugle est une zone connue des autres mais pas de vous, ce sont les représentations que cultive votre entourage sur vous.
La zone cachée est une zone connue de vous seule, votre jardin secret.
La zone inconnue est une zone inconnue de vous et des autres, c'est votre boulevard du développement personnel.
La frontière entre la zone publique et la zone cachée s'appelle la confiance.
La frontière entre la zone aveugle et la zone publique s'appelle les feedbacks, les partages.
Dans le cadre d'un projet de reconversion, mais bien plus largement, connaître l'état de sa fenêtre de Johari permet de comprendre quel est son niveau de confiance en l'autre et quel dispositif de feedbacks est présent dans sa vie pour se nourrir (sainement) des appréciations de son entourage. Passée cette étape du constat, chacun peut alors décider de prendre en main ces différents sujets, et ne plus subir cet enfer des autres. L'enjeu, c'est d'être pleinement acteur d'une relation saine et enrichissante qui participe au développement personnel et à la construction de ses projets. Un paradis dont il serait dommage de se priver !
Sources :
- Giacomo RIZZOLATTI est un médecin et biologiste de nationalité italienne. Il est professeur de physiologie à l'université de Parme, en Italie. Il est à l'origine de nombreuses découvertes en neuroscience intégrative.
- Les abus affectifs - De l'enfance à la vie amoureuse de Stéphane CRABIÉ et Docteur Gérard TIXIER
- La fenêtre de Johari est une méthode de représentation de la communication entre deux entités. Elle a été créée par Joseph Luft et Harrington Ingham en 1955. Le mot « Johari » est d'ailleurs tiré des premières lettres des prénoms de ses inventeurs.